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Esse: il traque les oeuvres spoliƩes par les nazis

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1970
1945
Charente Libre 15 November 2010


Patrick Neslias, depuis le Confolentais où il est installé, mène depuis 20 ans une drôle de quête. Il est parti à la recherche de tableaux spoliés par les nazis, pour le compte de l'un des héritiers, un ami.


Le tableau de chasse de Biltius avait été soigneusement listé par les experts de Hitler, lors de la spoliation, en 1940. Il vient d'être retrouvé. 

"Tout a commencé ici, raconte Patrick Neslias, assis à la grande table de son pavillon d'Esse, dans le Confolentais. Un monsieur, Serge Nardus, rendait visite à ma tante. Et il racontait des histoires sur son grand-père, un multimillionnaire hollandais qui avait vu sa collection de 150 toiles volée par les nazis, en 1940. Tout avait disparu". Un jour de 1988, sans savoir pourquoi, il propose ses services à l'ami de la famille. «Je ne savais pas dans quoi je me lançais». Car, confesse-t-il en souriant: «Je ne connaissais rien à l'art, je suis daltonien, je ne parlais pas un mot d'anglais, et je n'avais aucune notion de droit».

Il a acheté un dictionnaire d'anglais, et il a appris à se repérer, petit à petit, dans cette jungle fermée, ou l'on croise plus de cabinets d'avocats internationaux que de particuliers néophytes. Il apprend à déchiffrer les documents qu'il rassemble petit à petit. Notamment cette stupéfiante liste, minutieusement établie par les nazis, qui recense toutes les oeuvres volées à la famille Nardus. On y trouve des noms comme Rembrandt, Boticelli, Rubens, Mantegna, Vermeer ou Velasquez...

«J'ai commencé à écrire aux différentes autorités européennes», raconte Patrick Neslias. Avec peu de succès. Inconnu, il se heurte à une indifférence totale. Et puis parfois, on lui donne des informations, mais au compte-gouttes. «J'ai tourné en rond jusqu'en 1993».

«Une toile a la traçabilité d'un steak haché»

Et puis la Hollande lui donne une piste. L'un des tableaux qu'il recherche se trouverait en Autriche, après être passé par une grande maison internationale de vente aux enchères. Il contacte cette dernière en disant: «Il semblerait que vous ayez vendu une toile volée par les nazis». La réponse ne tarde pas: «Ils ont commencé à me prendre au sérieux. Et à considérer que j'étais un problème. Leurs juristes m'ont menacé de me faire un procès». Il abandonne la partie.

Mais ce premier round aura eu son effet: il découvrira plus tard que la peinture a dormi dans un coffre durant des années: «Une toile a la traçabilité d'un steak haché, s'amuse-t-il. S'il y a un trou dans son histoire, elle est invendable».

Il redescend dans l'arène en 1996. Avec deux nouveaux atouts dans sa manche: l'irruption d'internet, et le décret de Washington, qui ouvre la porte aux héritiers des victimes spoliées. Patrick Neslias recommence à écrire des lettres, à lire des livres.

Il remonte la piste de deux toiles, deux portraits anonymes du XVe siècle, attribués à l'école florentine, qu'il retrouve dans la collection nationale hollandaise. Il s'engage dans une longue et minutieuse démarche, pour le compte de Serge Nardus, et, après avoir dû monter un épais dossier, finit par obtenir gain de cause. Les oeuvres ont été restituées en mars dernier, et sont actuellement en vente à Londres.

Cinq propriétaires depuis 1940

Enhardi par ce succès, il tente de nouveau sa chance en Autriche. Et, surprise, on l'aide. Il négocie un tableau de chasse de Biltius, XVIIe siècle, à 10.000 dollars, très en dessous de sa valeur, de façon à pouvoir le revendre correctement, en restituant de l'argent à l'héritier. Depuis 1940, elle était passée entre les mains de 5 propriétaires différents. «C'est justement quand elles réapparaissent sur le marché qu'on retrouve leur trace, explique Patrick Neslias. Ce qui m'aide, c'est qu'on a déjà passé deux générations. Les toiles n'intéressent pas les jeunes, qui les mettent en vente».

Au total, en une vingtaine d'années, Patrick Neslias n'a réussi à retrouver qu'une demi-douzaine d'oeuvres. Un travail de fourmi qu'il raconte dans un livre qu'il vient de publier: «Butin nazi» (1). Un ouvrage où il retrace l'histoire de la collection, et sa longue quête. «Maintenant, je ne travaille plus seul, mais avec des gens au niveau international». Une reconnaissance gagnée à se prendre des claques, dans «un monde où tous les coups sont permis», et qui sonne comme une revanche. «Ma grande fierté, confie-t-il, c'est que j'ai été contacté par une famille allemande. Ils m'ont raconté que leur grand père avait quitté la France pendant la guerre en emportant des tableaux. Ils ne voulaient pas les garder, et ne savaient pas quoi en faire. Je vais essayer de les aider».

(1) Butin nazi, Patrick Neslias, Geste diffusion, disponible sur le site de la Fnac.18 €.


La collection d'un richissime hollandais

«Mon grand-père m'a toujours parlé de cette collection de tableaux», raconte aujourd'hui Serge Nardus, l'héritier, âgé de 85 ans. Son grand père, né Léonardus Salomon, et devenu Leo Nardus à une époque où les patronymes juifs devenaient dangereux à porter, a eu une vie flamboyante et mouvementée. Chercheur d'or en Amérique latine au sortir de l'adolescence, peintre, collectionneur et marchand d'art, passionné d'échecs, il grandit en Hollande, s'installe en France, puis en Tunisie, où il habite une «villa somptueuse, toute en marbre rose», se souvient Serge Nardus, élevé là-bas.

En 1940, alors que la collection est restée en Hollande, les nazis demandent aux juifs de venir mettre leurs biens à l'abri, dans une banque dont ils prennent le contrôle. Les toiles sont dispersées.
A la fin de la guerre, Flory Nardus, la tante de Serge, se met en tête de récupérer les oeuvres. «Elle a emprunté de l'argent pour les retrouver.  Pour rembourser, les tableaux ont été vendus aux enchères, très en dessous de leur valeur», raconte son neveu. Pour ne rien arranger, Flory s'était associée à un banquier douteux.

A la mort de Leo Nardus, en 1955, son petit fils rend fréquemment visite, à Esse, à une amie d'enfance, aux côtés de laquelle il a grandi en Tunisie. Cette amie est la tante de Patrick Neslias. «Patrick, comme moi, a toujours entendu parler de cette histoire. Quand il est devenu grand, il s'est passionné», se souvient Serge Nardus.

Aujourd'hui, il n'a vu de ces yeux que deux des tableaux de cette collection, dont un Velasquez, à la fin de la guerre, avec Flory, en Hollande. Et puis, récemment, il a pu toucher du doigt le Biltius: «ça m'a fait tressaillir», lâche-t-il. Sans fausse pudeur, il ajoute: «A mon âge, ce qui m'intéresse, c'est un peu d'argent!»

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