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Vive polémique autour de l’œuvre spoliée de John Constable à la Chaux-de-fonds

1998
1970
1945
Cicad 24 March 2014

Un tableau du Musée des beaux-arts de la Chaux-de-fond suscite une vive polémique. La peinture aurait été volée à une famille juive durant la Seconde guerre mondiale qui en revendique les droits aujourd’hui. Alain Montaegle, héritier, a lancé une pétition pour récolter le maximum de signatures et demander aux autorités de la ville la restitution de l’œuvre. Une démarche légitime mais qui pose un dilemme quant au travail de mémoire selon Johanne Gurfinkiel Secrétaire général de la CICAD, Interviewé au micro de la RTS ce dimanche.

L’œuvre du peintre anglais John Constable a bien été confisquée en 1943 par le gouvernement de Vichy à la famille d’Alain Montaegle pour finalement dès années plus tard et de multiples propriétaires être léguée  au Musée des Beaux-arts de la Chaux-de-fonds.

La démarche de cet héritier qui s’interroge sur cette non restitution de la part du Musée, lance une polémique et ouvre le débat sur la question des œuvres spoliées. Ne vaudrait-il pas mieux 70 ans plus tard laisser ce tableau dans le Musée et ainsi faire œuvre de mémoire. La restitution des œuvres d’art aux descendants des familles spoliées depuis l’affaire Gurlitt pose un dilemme que reconnaît Johanne Gurfinkiel. « La question de savoir si ces biens exposés publiquement dans des musées peut permettre un passage de mémoire et d’alerte auprès du grand public sur la façon dont l’Allemagne nazie a tenté d’éradiquer tout une communauté et de spolier ses biens est un vrai sujet. Le Musée de La Chaux de fonds a estimé que l’apposition à côté du tableau, d’une plaque rappelant ce pan de l’histoire tout en expliquant qu’il s’agit d’un bien spolié, allait dans ce sens.  Parallèlement, les actions menées par les  ayant droits pour  récupérer des biens spoliés est parfaitement légitime et par ailleurs reconnue. Je comprends leur demande, il y a là une vraie question à se poser sur la question du  travail de mémoire.»

Retrouvez l'intégralité de l'interview ci dessous:

 

L’héritier est de retour en ville

Alain Monteagle demande aux autorités que soit restituée à sa famille l’œuvre de Constable volée durant la Seconde Guerre mondiale.

Les spectateurs venus voir le film de George Clooney «Monuments Men», sorti le 12 mars, ont pu passer de la fiction à la réalité le week-end dernier à La Chaux-de-Fonds. À l'entrée du cinéma Eden, Alain Monteagle, héritier d'une famille juive spoliée durant la Seconde Guerre mondiale, rappelait qu'une des œuvres volées était toujours accrochée au Musée des beaux- arts de La Chaux-de-Fonds, malgré les tentatives entreprises par sa famille pour le récupérer.

Accompagné par les caméras de France 2 et une journaliste du «New York Times», le Français a passé deux jours à La Chaux-de-Fonds, durant lesquels il est allé à la rencontre des citoyens, que ce soit place du Marché le samedi matin ou au cinéma le soir, pétition en main. «Notre séjour de deux jours nous a permis d'informer la population de La Chaux-de-Fonds qui ne savait rien sur le problème de l'art spolié pendant la Seconde Guerre mondiale», nous a-t-il expliqué. Une période douloureuse durant laquelle la collection d'art de son arrière-grand-onde, John Iaffé, a été confisquée à Nice par le gouvernement de Vichy. après la mort - naturelle - de son épouse, en 1942. Parmi les œuvres volées, figure un tableau du peintre anglais John Constable, «La vallée de la Stour», qui se trouve au Musée des beaux-arts de la Chaux-de- Fonds.

Les démarches entreprises par les héritiers depuis 2006 ne leur ont pas permis à ce jour de récupérer l'œuvre. S'appuyant sur le système de démocratie directe helvétique, les héritiers de la famille spoliée ont pris le parti de lancer une pétition afin d'engager le Conseil général à se prononcer sur cette délicate affaire. «Notre pétition a déjà enregistré des signatures, mais elle doit être reprise puisque nous ignorions certains termes spécifiques à la Suisse», a indiqué Alain Monteagle. «Dès que ce sera fait, nous vous l'enverrons et indiquerons où l'on peut la signer.»

Pas volées par les nazis

Pas de quoi impressionner les autorités chaux-de-fonnières, qui mettent en avant l'avis de droit de Pierre Lalive et Jean Guinand (lire encadré) et campent sur leur position. «La pétition n'a aucune valeur contraignante», indique Jean-Pierre Veya, conseiller communal en charge des affaires culturelles à La Chaux-de- Fonds. «L'initiative populaire est réservée .aux citoyens suisses et pour un référendum, il faudrait qu'il y ait un arrêté du Conseil général», précise-t-il.

L'élu reconnaît qu'il s'agit là d'une «problématique très complexe, devant laquelle nul ne peut rester insensible, d'autant plus à La Chaux-de-Fonds, ville où s'est fortement impliquée la communauté juive».

Il rappelle néanmoins un détail qui a son importance sur le plan juridique. Les œuvres de la famille Iaffé n'ont pas été volées par les nazis, mais par le Commissariat aux affaires juives sous le gouvernement de Vichy, qui les a vendues aux enchères. «Cela n'enlève rien à l'horreur, mais la responsabilité incombe au gouvernement français, qui a reconnu sa responsabilité sous le mandat de Jacques Chirac. La France a légiféré sur cette question et institué la Commission d'indemnisation des victimes de spoliations (CNS), où tout citoyen a la possibilité de s'adresser. Dès lors, ce n’est pas surréaliste de penser que c'est à la France, qui s'est rendue coupable de tels agissements, d'indemniser les héritiers de la famille Jaffé. Et pas à La Chaux-de-Fonds.»

«Trop facile», estime Alain Monteagle. «La Commission d'indemnisation a déjà écrit aux autorités chaux-de-fonnières que sa tâche consiste à reconnaître la responsabilité de l'État français dans la spoliation des biens des juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale (. . .) En revanche elle ne se charge en aucune façon de la restitution des dits biens par ceux. qui en ont indûment profité.» Les héritiers s’étonnent en outre que «dans notre cas, les musées du Louvre, de Montargis, de Bordeaux, de Toulouse, de Fort Worth (Texas) et des Pays-Bas nous ont restitué des œuvres sans la moindre intervention de cette commission. Il est trop facile de feindre de pas comprendre la fonction de cette commission.»

Des musées plus conciliants

Depuis dix ans, la famille a pu récupérer huit tableaux sur la soixantaine d'œuvres volées, dont «Le Grand canal avec le Palais Bembo» de Guardi, découvert au Musée des augustins de Toulouse ou encore «Glaucus and Scylla» de Turner, retrouvé dans le Kimbell Art Museum, au Texas. Ce tableau a été racheté par le même musée pour 5,7 millions de dollars lors d'une vente aux enchères. Le premier, également vendu aux enchères, a été acquis par le Getty Museum pour 7,3 millions de dollars. Pourquoi La Chaux-de-Fonds ne suit-elle pas l'exemple de ces musées ?

«Le courrier de la CNS auquel fait allusion Alain Monteagle ne dit pas ce qu'il prétend. Ce courrier date de septembre 2009, et le président de la CNS (. . .) souligne qu'à ses yeux 'une restitution (du tableau) paraît devoir primer sur une indemnisation'», répond Jean- Pierre Veya.

Par ailleurs, «la législation dans les pays précités n'est pas la même qu'en Suisse. Le Conseil communal se base également sur les principes de la conférence de Washington de 1998 applicables aux œuvres d'art confisquées. C'est le droit suisse qui s'applique. Les héritiers devraient donc saisir un juge des Montagnes neuchâteloises, ce qu'ils n'ont pas fait à ce jour.» 

La Ville doit respecter le legs Junod

On peut résumer ainsi les deux avis de droit rendus dans cette affaire. Premièrement, rien dans le droit en vigueur n'impose à la Ville de restituer le tableau. Deuxièmement, même si elle le voulait, la Ville ne pourrait pas le restituer, car elle enfreindrait alors le droit du legs.

Le 23 juillet 2008, le juriste genevois Pierre Lalive, décédé il y a deux semaines à l'âge de 91 ans, expert mondialement reconnu en droit de l'art, rend, à la demande de la Ville de La Chaux-de- Fonds, un avis juridique sur la demande de restitution formulée par Alain Monteagle. Sa conclusion, qu'il résume dans la lettre d'accompagnement d'un document de treize pages, est sans appel: «En l'état actuel du dossier, il ne fait aucun doute à mon avis que la Ville est propriétaire du tableau qui lui a été légué par Madame Madeleine Junod et n'est nullement tenue à restitution à Monsieur Alain Monteagle.»

Dans son avis, Pierre Lalive rappelle notamment que le tableau, après avoir été vendu aux enchères à Nice en 1942, avait été acquis par les époux Iunod auprès de la galerie genevoise Moos en 1946, après être passé entre les mains de trois propriétaires. Le juriste établit que la Ville de La Chaux-de-Fonds est bien la propriétaire du tableau et qu'elle l'a acquis de bonne foi. Selon le droit suisse, celui qui a possédé de bonne foi pendant cinq ans la chose d'autrui en devient propriétaire par prescription. Quant aux aspects d'ordre éthique et politique que pose cette demande de restitution, ils «ne peuvent avoir d'influence sur la solution du problème posé que dans la mesure où le droit applicable les prendrait en compte». Un deuxième avis de droit du 26 janvier 2009, rédigé par Jean Guinand, établit que si la Ville décidait, allant au-delà du droit en vigueur, pour des raisons d'éthique, de restituer le tableau, les dispositions testamentaires l'interdiraient. La Ville de La Chaux-de- Fonds est aujourd'hui «toujours liée par la charge» qu'elle a acceptée en même temps que la donation Junod en 1986. Or, selon les conditions des donateurs, les 30 tableaux ont été légués à condition d'être exposés ensemble et pour toujours au Musée des beaux-Arts. La Ville ne peut en aliéner (ce terme n'exclut pas que la vente, mais toute opération aboutissant à un morcellement de la collection) aucun. Si elle prenait une décision contraire, elle s'exposerait à des actions des héritiers Iunod. ils seraient en droit de réclamer la restitution du legs, puisque les conditions de la donation seraient rompues.

Sources : L'Express - 22 mars 2014 RTS, CICAD - 24 mars 2014

http://www.cicad.ch/fr/cicad-news-press-releases-and-feedback-shoah-news/vive-pol%C3%A9mique-autour-de-l%E2%80%99%C5%93uvre-spoli%C3%A9e-de-john
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