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A Genève, trois peintures sentent le soufre

1998
1970
1945
24 heures 11 November 2014
Par Caroline Zumbach

Un collectionneur qui aurait été proche des nazis a déposé des peintures au Musée d’art et d’histoire. Qui mène l’enquête.

Brigitte Monti et l’une des toiles incriminées.
Image: GEORGES CABRERA

Elles sont trois peintures, entreposées dans les sous-sols du Musée d’art et histoire (MAH). Depuis deux ans, Brigitte Monti, collaboratrice scientifique de l’institution, mène l’enquête. Son parcours l’a portée sur les traces d’un collectionneur autrichien soupçonné d’avoir été proche des nazis. Selon le site Mediapart, d’autres toiles lui ayant appartenu seraient en possession de plusieurs musées européens.

«Il s’agit de trois tableaux espagnols datant du XVe siècle, de Rodrigo de Osona et de Pedro Garcia de Benabarre, indique l’enquêtrice. J’ai été intriguée par le peu d’informations que nous avions sur ces œuvres en voyant la petite note collée sur l’un des cadres, qui stipulait: «Dépôt de Ludwig Losbichler Gutjahr, Apartado de correos 706, Barcelone». Hormis les titres et auteurs des œuvres, il n’y avait aucune mention concernant leur acquisition ou leur parcours.» Ces lacunes ont incité la spécialiste à se lancer dans cette vaste recherche publiée dans le dernier numéro de la revue des Musées d’art et histoire de Genève: Genava.

Afin de découvrir l’histoire de ces toiles, Brigitte Monti a d’abord contacté le registre civil de Barcelone. «J’ai ainsi appris que Ludwig Losbichler est né en 1898 en Autriche et qu’il est décédé à Barcelone en 1989, à l’âge de 91 ans, sans laisser de descendants connus ni de testament.» Sur le site Internet Archives of American Art, Brigitte Monti réunit une riche correspondance entre le collectionneur autrichien et Germain Seligmann, propriétaire d’une fameuse galerie installée à New York et à Paris. Selon Mediapart, «on y découvre qu’en 1969 la collection de Losbichler compte près de 80 pièces, dont une œuvre attribuée à Léonard de Vinci, plusieurs Zurbaran, un Vélasquez et deux Rembrandt». Malheureusement aucune indication n’éclaire les circonstances de l’acquisition de ces œuvres.

Différentes sources permettent à l’enquêtrice de cibler un peu plus précisément le caractère du personnage. Il est décrit dans un article du quotidien La Vanguardia comme «un homme solitaire, vivant misérablement depuis plus de vingt ans dans un hôtel barcelonais, mais qui paradoxalement prétend être propriétaire d’une collection de grande valeur comportant, entre autres, des œuvres de Murillo, de Goya, de Rubens, de Raphaël ou de Michel-Ange». Par la suite, le collectionneur aurait même ajouté qu’il possédait le véritable portrait d’origine de Mona Lisa!

Grâce aux blogs d’un certain Eliah Meyer, Brigitte Monti apprend que Ludwig Losbichler est considéré par les services secrets britanniques et américains comme étant proche des agents nazis ayant opéré au Maroc et en Espagne. «A la fin de la guerre, la collection de Losbichler s’étoffe, précise la collaboratrice du MAH. Elle passe de trois œuvres déclarées en 1946 à vingt-sept en 1953, pour arriver à près de 120 pièces au milieu des années 1970!» La quasi-totalité de sa collection aurait été déposée dans des coffres-forts et dans différents musées européens: en Allemagne, en Autriche et en Suisse notamment. Selon Mediapart, le Kunsthaus de Zurich en détiendrait sept.

Retable gothique
A ce stade, l’enquête a permis de mettre au jour une partie de l’histoire des toiles de Pedro Garcia de Benabarre détenues par le MAH. «J’ai contacté l’historien Alberto Velasco Gonzàlez, spécialiste du peintre et auteur de plusieurs études consacrées à l’artiste, indique Brigitte Monti. Il était stupéfait car il est à la recherche de ces pièces depuis des années! Elles font partie d’un grand retable gothique qui se trouvait dans la commune de Peralta de la Sal, en Aragon, depuis environ l’an 1450.»

Vendues en 1908 par le curé du village, elles sont localisées par la suite en 1938 dans une galerie de Munich avant de disparaître. Elles réapparaissent en 1952, lors d’une exposition à Bordeaux où elles sont présentées comme appartenant à Ludwig Losbichler. Il les aurait acquises entre 1945 et 1952.

A ce stade, l’enquête n’a pas permis de savoir comment les peintures en possession du MAH ont été acquises par leur propriétaire. «J’ai consulté deux bases de données qui recensent les œuvres spoliées par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Les tableaux que nous possédons ne s’y trouvent pas, mais je vais les inscrire dans les jours qui viennent sur le site Lost Art, dédié aux peintures dont les origines sont suspectes», indique l’enquêtrice.

http://www.24heures.ch/culture/autres-arts/A-Geneve-trois-peintures-sentent-le-soufre/story/11397429
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