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Spoliation juive : une Crucifixion retrouve ses propriétaires

1998
1970
1945
Le Figaro 9 February 2018
Par Claire Bommelaer

La France va rendre un triptyque du XVIe siècle aux ayants droit des époux Bromberg, des juifs allemands qui ont fui la France en 1939. Les restitutions d'œuvres volées ou achetées sous la contrainte par les nazis sont de plus en plus rares.

Petit à petit, la France progresse dans sa politique de restitution d'œuvres d'art volées à des collectionneurs juifs pendant la guerre. Lundi, la ministre de la Culture Françoise Nyssen doit restituer aux ayants droit d'Hertha et Henry Bromberg, un triptyque de la Crucifixion, attribué à Joachim Patenier (XVIe siècle). C'est la seconde fois, en deux ans, que la France restitue une œuvre aux ayants droit de ce couple. Les Bromberg et leurs quatre enfants avaient fui l'Allemagne en 1938 et s'étaient installés à Paris. Un an plus tard, alors que le vent tournait, ils durent se séparer de leurs biens, dont plusieurs tableaux, passèrent par la Suisse, avant de rejoindre les États-Unis.

On sait que le triptyque, composé de panneaux de bois, a été acheté chez Theo Hermsen, à Paris, pour 230.000 reichmark. La vente a été faite sous la contrainte, ce qui explique aujourd'hui la restitution par l'État français. Cette Crucifixion était destinée au musée de Linz, «musée idéal» voulu par Hitler. En 1944, elle est enregistrée, sous le numéro 4914, 4997-8, au Central Collecting Point de Munich. Munich est un des lieux (avec Wiesbaden en zone américaine, Düsseldorf en zone britannique et Baden-Baden en zone française), où étaient rassemblées les dizaines de milliers d'œuvres retrouvées par les Alliés, en Autriche et en Allemagne.

Le Patenier est ensuite rapatrié en France et déposé au musée du Louvre, en 1950, faute d'avoir été réclamé. Il devient alors une des 2000 oeuvres du catalogue MNR (musées nationaux récupération), avec le numéro 386. Il est ensuite déposé à Alger de 1952 à 1961, sans doute dans une administration française. Il revient après l'indépendance de l'Algérie et est placé dans les réserves du musée Crozatier, au Puy-en-Velay à partir de 1966. Pourtant identifié sur une base de données publique, il attendait ses propriétaires depuis 68 ans. Les services du ministère de la Culture ont d'ailleurs perdu deux ans. Ils avaient identifié un portrait attribué à Joss van Cleve, restitué aux ayants droit des époux Bromberg en 2016, sans faire le lien avec la Crucifixion.

On estime que 100.000 œuvres d'art, ainsi que plusieurs millions de livres, ont été dérobées à des familles juives françaises ou résidentes en France, pendant l'Occupation. À la fin de la guerre, les Alliés ont retrouvé environ 60.000 œuvres, cachées dans des châteaux ou des mines de sel. Ils les ont réexpédiées dans la foulée. La France a tenté de retrouver leurs propriétaires, ou leurs descendants, jusqu'au début des années 1960. Certains, dont les Rothschild, ont récupéré une partie de leur collection. Des milliers de biens ont été vendus, et 2 000 tableaux considérés comme ayant le plus de valeur ont été mis en dépôt dans divers musées, dont le Louvre. Entre 1951 et 1994, seules trente œuvres ont été restituées - le sujet n'apparaissant plus comme prioritaire.

À partir de la fin des années 1990, un nouvel effort est fait pour retrouver les collectionneurs spoliés. En 2013, une commission d'experts, d'archivistes et d'historiens a également été mise sur pied. La restitution d'aujourd'hui, ainsi que dix-sept autres récentes, est le fruit de leurs recherches, devenues de plus en plus difficiles avec le temps. Le musée du Louvre vient d'ouvrir deux salles dédiées à ces MNR, afin de sensibiliser le public.

http://www.lefigaro.fr/culture/2018/02/09/03004-20180209ARTFIG00322-spoliation-juive-une-crucifixion-retrouve-ses-proprietaires.php
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