Une transaction pour le moins inattendue
Geert Sels et cet historien des Archives générales du Royaume se connaissent bien. Ils se côtoient depuis 10 ans. © RTBF
Geert Sels arpente les couloirs des Archives générales du Royaume depuis au moins dix ans. Le journaliste ne lâche rien, il épluche l'ensemble des archives économiques, judiciaires et culturelles contenues dans ces couloirs du temps.
Nous lui devons entre autres un morceau de la vie et de l'angoisse de Fritz et Emmy Gütterman-Seegall. Nous sommes en 1938. Ils veulent fuir Berlin. Ils demandent un visa pour se réfugier en Belgique. Ci-dessous : leur dossier, constitué par la Sûreté de la Belgique, l'ancêtre de l'Office des étrangers.
Geert Sels raconte dans quelles circonstances ces événements ont eu lieu : "Ce sont des personnes qui sont vraiment en panique, qui ont peur, qui doivent sauver leur vie. Parce que rester en Allemagne, ce n'est pas une option."
Ce document est rarissime de précision. L'avocat du couple juif, après avoir essuyé quatre refus de visa, propose une transaction pour le moins inattendue. Celle-ci précise :
"Au cas où la Sûreté publique autorisait l'établissement en Belgique de Mr et Mme Gutterman, Mr le conservateur en chef aurait la faculté de choisir dans la collection commune dix planches destinées à enrichir nos collections nationales."
© Archives générales du Royaume
Et en effet, dans leur situation que l'on peut qualifier de désespérée, ils offrent des dessins d'art de leur collection contre un visa. Et ça marche. La Sûreté accepte le deal. Le conservateur des Musées Royaux choisit dix planches. Pas vraiment emballé, l'historien d'art s'exécute. Un marchandage hors-la-loi, cependant.
"Ici on peut vraiment parler d'un échange de visa contre des pièces d'art.", explique Geert Sels, "Je pense que dans les conditions normales, ils n'auraient jamais donné ou même vendu les œuvres d'art."
Des œuvres aux mains des nazis
Geert Sels a retrouvé grâce aux archives les héritiers de la famille Gütterman, mais aussi de nombreuses autres familles qui ont donné dès 1934 des œuvres aux musées belges d'Anvers, de Gand et de Bruxelles. Des avocats américains, anglais et allemands vont réclamer officiellement ces œuvres à la Belgique.
L'enquête de Geert Sels nous emmène maintenant à l'hôtel Métropole. Dans la mémoire de son ordinateur, ces tableaux. Voici deux joyaux de l'art flamand du XVᵉ siècle : un Colin de Cooter et un du maître de la légende de Sainte-Lucie. C'est le maréchal Göring en personne qui les achète en octobre 40 lors de la vente organisée dans ce même hôtel. Le nazi est conseillé par Walter Hofer que l'on devine sur une photo.
Autre document exceptionnel, la facture d'achat d'Hermann Göring, oubliée mais retrouvée par notre journaliste. On y voit les noms précis des tableaux et leur prix de vente.
Ces tableaux ne sont toujours pas revenus en Belgique, ils sont aux Pays-Bas ou en Allemagne. Geert Sels estime qu'il y a à peu près 150 tableaux et dessins orphelins, toujours en déshérence. Il attend, comme tous les spécialistes belges, que le gouvernement fasse centraliser enfin les recherches et y mette un coup d'accélérateur.
Le résultat de ces recherches peut être consulté dans le livre que publie Geert Sels : "Le trésor de guerre des Nazis. Enquête sur le Pillage d'art en Belgique", aux éditions Racine.